Christine LARA entre Lettres et mots

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Un personnage, une femme

 BLOG: LE SANCTUAIRE DE LA CULTURE

 

Christine Lara : Écrire n’est pas un projet, c’est une continuité, comme respirer

22 Mars 2020, 19:07pm

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Publié par Juvénale Obili

Bonjour Christine, comment vas-tu ? Au Sanctuaire, nous nous considérons comme une famille, j’espère que cela ne te gêne pas que l’on se tutoie ?

 

Non, pas du tout. En Polynésie, le tutoiement est de mise, même si cette pratique semble en passe de disparaître. Je me porte bien, merci !

 

Peux-tu nous parler de toi ?

 

Que dire et par où commencer ? Je suis d’origine antillaise avec de lointains parents Caraïbes ; Polynésiens. J’ai grandi à travers le monde parce que mes parents avaient une âme de voyageurs. Cette vie de nomade présentait des avantages indéniables mais il y avait aussi des inconvénients. Par exemple, d’un côté j’ai côtoyé différentes cultures, rencontré diverses personnes ce qui m’a appris à mieux percevoir la richesse de l’Autre et à m’intéresser à beaucoup de choses. Je respecte les autres cultures, les différences de tout ordre. Mais d’un autre côté, ces nombreux déplacements ont fait de moi quelqu’un de solitaire. Quand on n’a pas le temps de se faire des amis, entre deux valises, au bout d’un moment on cesse de s’investir dans des amitiés qui s’effaceront avec la distance. Je parle bien entendu de mon enfance et de mon adolescence, seulement, au fil des années, cela devient une facette de votre personnalité. Aujourd’hui, je dis, sans originalité, que je suis citoyenne du monde. J’appartiens à plusieurs cultures, j’évolue dans plusieurs cultures et je me passionne pour beaucoup d’autres.

 

Être issue d'une famille d'auteurs t'a-t-il favorisé dans l'écriture ?

 

C’est une question que je me suis souvent posée. Il faut reconnaître que j’écris depuis l’âge de huit ans et que cela s’est fait tout naturellement, donc oui, je pense qu’il y a un héritage, au moins génétique. Mais je n’ai pas grandi dans un environnement littéraire familial. La famille LARA, est une famille d’écrivains depuis aussi longtemps que je peux remonter dans le temps. Mon grand-père, mes grands oncles étaient des écrivains et ont marqué leur époque. Toute cette génération écrivait, mais je suis née trop tard pour les rencontrer. La génération suivante écrivait aussi mais ce n’était pas avec la même verve. Sans doute une affaire d’époque. Mon grand-père, mon père, mes oncles et cousins étaient tous des littéraires et des historiens. Oui, je suis née dans une famille vouée à l’écriture. Souvent je me dis que je n’ai aucun mérite à écrire car c’est inné. Parfois je le vis comme une malédiction car ce besoin d’écrire, ce désir d’écrire sont souvent peu récompensés. J’aurais dû faire de la politique car c’est une ouverture pour certains « auteurs ».

 

Quel bonheur as-tu rencontré dans ta carrière de professeur de Lettres ?

 

Quand j’avais 10 ans, je voulais être juge pour enfants, sans doute qu’avec un arrière-grand-père bâtonnier cela s’expliquerait. Mais au collège, je me suis prise de passion pour l’enseignement. J’ai commencé par des études de droit, de psychologie avant d’étudier les lettres modernes. J’ai obtenu un doctorat, j’ai passé les concours et je suis devenue Professeur de lettres modernes. J’ai enseigné de la maternelle à l’université de la Sorbonne, en passant par le lycée, le collège et la formation des enseignants. Alors, des bonheurs, j’en ai eu beaucoup. Voir évoluer cette jeunesse souvent à la recherche de repères, cette jeunesse de plus en plus en colère ou déçue, pouvoir ramener, ne serait-ce qu’un seul vers la voie de la réussite est un bonheur. Je rencontre aujourd’hui, des anciens élèves qui sont devenus des adultes et qui se souviennent encore des cours et bien plus important, des conseils, des remarques, des encouragements ou des rappels à l’ordre. Tout cela a contribué à façonner les adultes qu’ils sont devenus. C’est cette partie de mon métier qui m’apporte une certaine satisfaction. Leur reconnaissance, souvent tardive est une joie pour l’enseignant investi.

 

On dit souvent que le premier livre d’un auteur n’est pas ce qu’il publie en premier. Quel est ton véritable premier ouvrage ? De quoi parle-t-il ?

 

C’est vrai que l’on dit cela. J’ai écrit une vingtaine d’ouvrages aussi, il m’est difficile de qualifier un, particulièrement, de Premier roman car j’en ai plusieurs. Si je parle de « premier roman », chronologiquement, ce serait Le Journal d’un Pirate que j’ai écrit lorsque j’avais 16 ans. Mon premier roman, comme un premier amour, ne s’oublie jamais.

 

Quel est le thème de ce roman ?

 

Il raconte l’histoire de deux jeunes adolescents qui découvrent un coffre très ancien, enfoui sous le sable, au fond de la mer, dans la baie du Moule, à la Guadeloupe. Mais ce coffre ne renferme pas un trésor en pièces d’or comme ils l’avaient espéré mais le journal d’un jeune pirate. Ce sont ses tribulations, ses amours, ses doutes qui sont relatés dans ce roman. Ce roman est mon premier amour. Ensuite, si en tant que par « premier roman » on qualifie celui qui a la meilleure critique ou qui s’est le mieux vendu, alors ce serait Si le Jour se lève, un roman dont la plume a trempé dans l’encre de ma vie sans être toutefois une autobiographie. J’évoquerai aussi un de mes coups de cœur : Les Flammes du Passé, un roman publié en 2011 et qui a été très apprécié de la critique. Roman où se mêlent histoire, esclavage, surnaturel, réalité, passé, présent, amour, haine, racisme… une belle histoire, une leçon d’humilité et de savoir-vivre ensemble. Enfin, mon Premier roman actuel serait SAGA, que j’ai terminé il y a quelques mois.

 

De quoi parle Saga ?

 

Deux familles que tout oppose, deux destins : la première fuit la Révolution française et ses horreurs pour se réfugier dans la colonie de Guadeloupe, l’autre est arrachée à sa terre africaine pour être mise en servitude à la Guadeloupe. Le sens de premier roman, pour moi, correspond au temps passé à l’écrire, à la fréquentation régulière des personnages, parfois si intense que j’ai l’impression d’avoir vécu avec eux, de les connaître. Chaque roman, est, à un moment, mon Premier Roman. 

 

L'âme de ta poésie est porteuse de quel message ?

 

Cette âme peut être tour à tour engagée ou intimiste. Accusons la Muse ! Le message est souvent lié au passé, à l’histoire qui sert d’engrais à notre avenir. Il faut dire les choses pour qu’elles se rassérènent.

 

Essayiste, poète et romancière… Quel est le genre littéraire dans lequel tu te sens le plus toi ?

 

Les mots, les lignes du roman m’offrent la protection de la fiction, libèrent mon esprit et me font vivre d’autres vies. La poésie, pourtant mon premier genre d’écrit, met mon âme à nu, bien plus que le roman. Elle est dangereuse parfois. Je me sens moi entre les deux, entre cette fiction qu’offre le roman et cette réalité qu’impose la poésie. Cet entre-deux complexe, est, je crois, le quotidien de beaucoup d’écrivains.

 

La femme… Comment s’arrange-t-elle avec les droits en Polynésie française? Ça se passe comment chez vous la célébration du 08 mars ?

 

Les femmes polynésiennes sont, dans l’ensemble, considérées comme les égales des hommes. Elles exercent différents métiers souvent considérés, à tort, comme exclusivement masculins. Certes, nous rencontrons les mêmes inégalités qu’en France métropolitaine. Le gros problème est celui de la violence conjugale avec un taux supérieur à 14%. La journée de la femme sert à dénoncer ces violences, à informer les femmes, et à les célébrer.

 

Tu as été lauréate de plusieurs prix...Quels sont ces prix et commentas-tu accueilli ces distinctions ?

 

Le premier prix que j’ai remporté était le Prix d’excellence de l’académie Muse de Karukéra, lorsque j’avais 16 ans. C’est vrai que remporter un Premier Prix, d’une association prestigieuse, à cet âge, vous rend fier et vous encourage à l’écriture. J’en ai obtenu d’autres avant dix-huit ans. Le Premier Prix des Jeux Floraux de la Guadeloupe, Un Ecu d’or de l’Académie des Jeux Floraux de Nice, Poetry Award aux USA. Plus tard, j’ai remporté divers autres Prix de plusieurs Académies et associations littéraires et poétiques, pour mes romans ou mes poèmes, comme ceux de l’Académie Internationale de Lutèce. Il est vrai qu’aujourd’hui, je ne participe pratiquement plus à ces défis littéraires.

 

Comment as-tu découvert ton talent pour la chorégraphie ?

 

Je danse depuis toujours dira-t-on et j’aime la musique. J’ai pris des cours et j’ai découvert que la danse était une de mes passions. Elle ne peut être que cela d’ailleurs. J’ai commencé à enseigner la danse à l’âge de 19 ans. J’ai suivi des formations et des stages à l’étranger. Cela m’a permis de rencontrer des danseurs et des chorégraphes mondialement connus.  J’ai monté mon école de danse (D.E.F.I= Danse, Enseignement-Formation Internationale), puis ma troupe de danse qui s’appelait « Honey-Dance » a donné naissance à de nombreux danseurs professionnels et professeurs de danse. J’ai créé le Comité Régional de Danse, organe de la Fédération Française de Danse, à la Guadeloupe, jeté les bases du diplôme de Professeur de danse... J’ai enseigné la danse en Polynésie, en métropole (Paris), aux Etats-Unis et ailleurs. Et cette période restera toujours un excellent souvenir plein de milliers d’autres souvenirs et bonheurs.

 

Quel sentiment as-tu d'avoir fait ce parcours formidable ? Quels sont tes projets pour l'avenir ?

 

C’est vrai que l’on me demande souvent combien de vies j’ai pu avoir pour vivre autant d’expériences. J’ai été mannequin à New York durant quelques jours, j’ai enseigné la danse, écrit des romans, du théâtre de la poésie, des essais pédagogiques, des manuels scolaires, des scénarios de films et de télénovela, j’ai formé des enseignants, été Inspectrice de lettres. J’ai enseigné les lettres, fait des études, voyagé, j’ai découvert des parties du monde souvent oubliées, j’ai aimé ; j’ai eu deux enfants… C’est effectivement une vie riche en émotions, en joie comme en peines. Mais une vie parmi tant d’autres. C’est une vie que j’ai aimée, que j’aime encore. Mes projets pour l’avenir ? Honnêtement, je ne sais pas. Écrire n’est pas un projet, c’est une continuité, comme respirer… Peut-être vais-je me consacrer davantage à l’écriture scénaristique. Je n’ai pas eu beaucoup de temps à accorder à cette passion. J’enseigne encore la danse, à l’occasion.

 

La littérature polynésienne en quelques mots… 

 

Parce que la Polynésie s’étend de la Nouvelle-Zélande à l’île de Pâques, comprenant Tonga, Samoa, les îles de la Société, les Marquises, les Wallis et Futuna, les Phœnix, les îles Hawai’i, les îles Cook, les Australes et les Gambier. Fidji et Rotuma culturellement, je réduirai mon propos à la Polynésie française. Il faut bien distinguer la littérature qui évoque la Polynésie, de la littérature polynésienne écrite par des Polynésiens. Les récits des navigateurs européens dans le Pacifique Sud comme Cook, Bougainville ou Loti, ces récits qui ont enflammé l’imaginaire des européens, récit d’un paradis, création du mythe tahitien, descriptions de paysages idylliques au cœur desquels évoluent le bon sauvage et la femme qui s’offre aux navigateurs ou cette littérature, plus rare, dénonçant la perte culturelle comme V. Segalen ou Alain Gerbault. Encore aujourd’hui la Polynésie inspire de nombreux auteurs qui ne sont pas Polynésiens. Ce que je définirai comme littérature polynésienne d’aujourd’hui est cet ensemble d’écrits appelant à un second souffle, rappelant les racines du peuple, s’ouvrant au monde dans une langue particulièrement, chaude et riche, une littérature qui s’interroge, qui se cherche, qui se veut différente. Une littérature née ces trente dernières années et qui a suivi l’évolution culturelle d’un peuple. Son passage du récit oral au récit écrit.

 

Quelques visages...

 

J’apprécie particulièrement Flora Devatine, qui a d’ailleurs remporté le Prix Heredia de l’Académie française pour son recueil de poèmes "Au vent de la piroguière - Tifaifai". J’aime cette sincérité poétique qui se dégage de ses mots imprégnés de culture et d’histoire polynésiennes. J’aime aussi lire les œuvres de Chantal Spitz dont le roman L'île des rêves écrasés a été le premier roman tahitien de langue française publiée par une maison d'édition et le premier roman tahitien traduit en anglais par les éditions Huia sous le titre Island of Shattered Dreams, en Nouvelle-Zélande. Le rythme de son écriture rappelle fortement les temps de l’oralité, du récit raconté, de ces haere-pô conteurs de généalogies. Son combat pour sa culture, la force de ses mots, l’originalité de son style en font un écrivain particulier.

 

Comment faire pour avoir vos publications ?

 

Mes ouvrages sont tous- enfin, ceux que j’ai publiés, c’est-à-dire un tiers de ceux que j’ai écrits. J’en ai perdu beaucoup au cours de mes déménagements, j’en ai détruit quelques-uns et perdu d'autres- disponibles dans les bonnes librairies, sur Internet, à la Fnac…Il suffit d’effectuer une simple recherche sur Internet pour obtenir la liste de points de vente en ligne ou dans les librairies. Je vous remercie pour cette interview.

 

Propos recueillis par Juvénale Obili

 

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